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le second rang du collier

La Présidente apportait un léger chevalet, des pinceaux, fins comme des aiguilles, prenait sa palette, et je tâchais de me tenir tranquille. Elle causait avec moi, me racontant des anecdotes, et la miniature avançait lentement.

Quelquefois elle me gardait à dîner, et, vers huit heures, Marianne venait me chercher.

Mais il y avait longtemps de tout cela. Un brusque changement de fortune avait bouleversé la vie de la Présidente. Les échos s’étaient tus des fameuses agapes ; la vente avait éparpillé les tableaux précieux et les bibelots rares ; les amis s’étaient dispersés. Elle supporta ce malheur avec une crânerie charmante : dans la défaite elle avait tout de même l’air triomphant. Des épaves de son luxe passé, elle s’arrangea un petit rez-de-chaussée qui était encore un nid coquet. Elle faisait sa cuisine elle-même, en chantant, des turquoises à ses jolies mains, le petit doigt relevé…

Elle me faisait l’effet de Peau d’Âne, pétrissant le gâteau, vêtue de sa robe couleur du temps, et j’admirais beaucoup ce courage et cette force d’âme. Elle était bien toujours, « la très belle, la très bonne, la très chère », celle à qui l’auteur des Fleurs du Mal avait voué un si secret et immatériel amour, celle qui revit dans ses vers immortels et se survivra par cette gloire d’avoir été, quelque temps, l’idéal d’un grand poète.