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le second rang du collier



Gustave Doré était le boute-en-train de nos soirées du jeudi. Cet infatigable travailleur, si richement doué et d’imagination si féconde, était, dans l’intimité, un prodigieux gamin. Sa figure juvénile, au teint blanc et rose, à la fine moustache, aux longs cheveux blonds rejetés en arrière, cachait, sous un aspect impassible, une espièglerie, toujours prête à saisir l’occasion d’exécuter quelque bon tour. Il accomplissait mille folies, très gravement et sans cesser jamais d’être distingué. En général, il faisait son entrée sur les mains, les pieds en l’air, et ne consentait à dire bonjour qu’après avoir exécuté, avec beaucoup de grâce et de souplesse, toutes sortes de « clowneries ».

Quand la Présidente était là, tout de suite il l’entraînait au piano, et ils improvisaient en duo des tyroliennes pleines de fantaisie. Il avait une charmante voix de ténor ; elle, une agréable voix de soprano, et c’étaient des roulades, des fioritures, des lalaïtou, à n’en plus finir.

Un des fervents admirateurs de Gustave Doré, son ami le plus intime, son « paysage », et même son complice, Arthur Kratz, auditeur au Conseil d’État, d’origine alsacienne et baron, était parmi les habitués. Mon père prétendait qu’il avait le droit de se faire précéder par quatre hallebardiers ;