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Page:Gautier - Le Second Rang du Collier.djvu/230

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le second rang du collier

désinvolture sans pareilles. Son visage n’a point de régularité, cependant il est adorable ; ses yeux ont une expression de douceur et de mutinerie qui attire les femmes et qui captive les hommes ; elle a des dents de perle, un sourire où la bonté tempère la malice, une peau de satin ; des cheveux blonds, qu’elle a la coquetterie de porter bouclés, sans s’inquiéter de la mode, donnent de l’éclat à son teint de rose du Bengale ; elle éblouit d’abord, elle plaît ensuite, et quand elle a plu on l’aime bientôt, car chaque jour on découvre en elle de nouvelles qualités ; son âme est pleine de poésie, elle est d’une honnêteté et d’une franchise rares ; incapable de tromper, elle ne croit à la perfidie que contrainte par l’expérience, encore elle s’efforce d’en douter souvent.

Son immense fortune ne lui sert qu’à faire des heureux ; elle ne peut voir souffrir personne et elle devine bientôt les douleurs qu’elle peut soulager, avec l’instinct des grandes natures ; la sienne est pleine de contrastes.

Elle est gaie, elle est triste ; elle est emportée et docile ; elle est généreuse et défiante ; elle a mille idées dans la tête et mille sentiments dans le cœur, qui se croisent et se contrarient ; un entraînement la pousse dans une voie, elle y court, elle s’y jette avec passion ; une réflexion, un pressentiment, un caprice l’arrêtent, elle retourne subitement en arrière et rien ne peut la ramener.

Versatile et constante, elle changera vingt fois par jour d’opinions, de projets et de désirs ; pourtant ses affections ne varient pas, son cœur ressemble à un de ces lacs dont on voit le fond, où les plantes marines, les cailloux brillants, semblent à la portée de la main, et dont la profondeur est immense. C’est une enfant par la grâce, c’est un philosophe par la pensée.

Elle a la câlinerie de la torpille, elle endort les soupçons, elle s’empare de ceux qui sont les plus en garde contre elle, et cela sans aucun plan d’envahissement arrêté, uniquement par le charme qu’exhale toute sa personne, comme les fleurs exhalent leurs parfums. Elle est créée pour séduire, ainsi que les violettes pour embaumer.

Avec une telle personnalité, la coquetterie ne peut faire défaut. Elle est involontaire, mais c’est dans son essence même, il ne faut pas le lui reprocher. Cette coquetterie n’est pas cruelle, elle ne blesse que sans y toucher. Anna veut être aimée : il y a chez elle un foyer ardent qu’elle croit