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le second rang du collier

souvent se promener à la fête ; un éclair de génie traverse son cerveau : il séduit le propriétaire d’un phoque, et obtient de se mettre dans le baquet, à la place de l’animal. Ainsi caché, il attend, avec une persévérance et une patience admirables, le passage de la jeune châtelaine.

Elle s’avance enfin, sous l’auréole rose de son ombrelle, et s’arrête pour regarder le phoque. Alors, le jeune homme, au lieu du classique : « Papa ! Maman ! » d’une voix passionnée et tremblante, murmure :

— Mademoiselle, je vous aime !… Je n’ai pas d’espoir et je vais mourir… Mais je voulais avoir le bonheur de vous dire pourquoi je meurs…

Très surprise d’abord, la belle héritière s’attendrit. Ce jeune homme, déguisé en phoque, a de beaux yeux et une voix touchante ; il ne faut pas mourir, mais sortir du baquet, aller demander au châtelain la main de sa fille, l’obtenir, et être le plus heureux des hommes.

Le faux phoque bondit hors de l’eau, et, tout ruisselant, tombe aux pieds de la jeune fille. Huit jours après, les bans sont publiés.

À la nouvelle de cette rare fortune, pris d’un beau zèle, tous les jeunes gens de la ville se mettent dans des baquets et font le phoque, attendant l’occasion de s’écrier :

— Mademoiselle, je vous aime !

Mais il ne passe plus d’héritières…