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le second rang du collier

Il savait bien que ce n’était pas Barni qui lui fournirait l’occasion de fuir.

Ce personnage, si pompeusement annoncé, parut enfin, et je lui pouffai de rire au nez, en m’écriant :

— Mais c’est Henri IV qui s’est échappé du Pont-Neuf !

Il avait une belle barbe blanche, bien peignée, les cheveux ondulés au fer, le profil busqué, le teint coloré, et il ressemblait, en effet, au roi vert galant. C’était un excellent homme, qui convint tout de suite que j’étais trop ragazza pour consentir à voir jamais en lui autre chose qu’un ancêtre ; il renonça gentiment à ses intentions et, du même coup, au majorât. Paris lui offrait des distractions bien séduisantes, et il contracta sans tarder quelques unions, de la main gauche, qui le consolèrent rapidement. Il loua une des maisons de M. Robelin, s’y installa, y festoya gaiement avec des amis de rencontre.

Barni fut pour nous un parent dévoué, indulgent, plein d’attentions aimables, et nous avions beaucoup d’affection pour lui. Venu à Paris dans l’intention de n’y passer que peu de mois, il y demeura plusieurs années ; quand il retourna en Italie, ce fut avec l’idée de mettre ordre à ses affaires et de revenir. Le destin ne le permit pas : dans un bal costumé, à Venise, la coupe de Champagne à la main, le viveur impénitent, mourut joyeusement, dans un éclat de rire qui lui rompit un vaisseau.