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le second rang du collier


Théophile Gautier était parti pour Saint-Jean à la fin de juillet, et nous devions aller le rejoindre, après un séjour dans les environs de Mâcon, auprès des Dardenne de la Grangerie, chez lesquels ma mère, ma sœur et moi, nous étions invitées. Mon père était toujours inquiet et tourmenté, quand sa nichée n’était pas avec lui : il imaginait toutes sortes d’événements, d’accidents, de querelles tragiques, de maladies subites, même quand il nous quittait pour de simples courses ; il ne rentrait jamais sans angoisse à Neuilly et était tout heureux, disait-il, de ne pas trouver « la mère égorgée, les filles violées, le feu à la maison ».

Il travailla plus tranquillement, lorsque nous fûmes tous réunis à Saint-Jean, et les phénomènes bizarres qu’il avait jusque-là remarqués, cessèrent de l’obséder. Dès qu’il se retirait dans sa chambre, le soir, pour écrire quelques pages de son roman, autour de lui des rumeurs troublaient le silence, les meubles craquaient, l’armoire s’ouvrait brusquement ; il voyait des ombres confuses au fond des miroirs, entendait des bruits de pas, des soupirs. Ce n’était pas sans appréhension qu’il quittait, pour aller travailler, le petit cercle réuni au salon et qui s’appliquait à d’importants ouvrages de crochet ou de tapisserie, sous la douce lumière concentrée par l’abat-jour. Parfois on l’avait vu revenir très troublé : il ne voulait plus remonter seul, par les escaliers de pierre, ni parcourir les