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le second rang du collier

Je me lance en une pirouette et l’achève en un plongeon, au centre de l’étoffe qui bouffe.

— Il est beau, n’est-ce pas, ce « fromage » ?…

— Oui ! soupire ma sœur, décidément plus contrariée que moi ; mais nos cousines, qui sont si chic, vont joliment se moquer de nous !

— Oh ! Rita seulement : les autres sont trop petites !…

Quand nous arrivons à l’hôtel de Giulia Grisi, d’assez bonne heure, pour la voir un peu avant la venue des convives, nous entendons résonner le piano dans le salon. La porte est ouverte sur le vestibule et nous nous glissons sans être remarquées.

Giulia et Mario sont debout près du piano et déchiffrent un duo, qu’Alary, compositeur et pianiste, accompagne.

La scène est originale : ces grands artistes, dont les voix merveilleuses ont enthousiasmé tous les dilettantes de l’Europe et les charment encore, ne sont pas, à ce qu’il semble, très musiciens. Le déchiffrement ne va pas tout seul. Alary, qui est sourd, se démène, bat la mesure du pied, chante, à hauts cris, d’une voix fausse, pour indiquer la mélodie ; mais les chanteurs préfèrent la jouer eux-mêmes, d’un doigt, et, par-dessus les mains du pianiste, s’efforcent chacun de son côté. Cela produit une confusion inextricable, d’où s’élèvent par moments des notes magnifiques, pas toujours celles qu’il faudrait.