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le second rang du collier

un paysage admirable : c’était « Bœuf en Chambre ».

(Cette appellation bizarre était le surnom du comte Olivier de Gourjault, un camarade de mon frère, pour lequel mon père avait beaucoup d’amitié. Sa forte corpulence, ses grands yeux bleus pareils à ceux de Junon — Boôpis, — que faisaient ressortir sa barbe et ses cheveux noirs, étaient le prétexte de ce sobriquet).

— En Russie, tu avais même deux paysages, puisque Toto était aussi avec toi.

— Toto est mon fils : ce n’est pas la même chose. Il est, par devoir, plus soumis, et, par habitude, plus familier ; il se rebiffe et discute, tandis que le paysage ne discute pas : il écoute et admire. Olivier était parfait : son caractère doux et paisible me plaisait infiniment. Il est même le paysage idéal, car il comprend tout, absorbe tout et s’y entend sur tout. C’est le véritable connaisseur, artiste, érudit, qui sait raisonner son admiration et cependant ne crée rien, et n’est donc jamais un rival, pas même un confrère, et, à cause de cela, a plus de sincérité, plus d’effusion dans l’enthousiasme qu’il éprouve. Le seul défaut d’Olivier, c’est qu’il est timide, comme je le suis moi-même, comme le sont en général tous les hommes gros. Le paysage doit avoir une certaine audace, et même du toupet : Toto, à ce point de vue, convenait très bien ; il allait de l’avant, portait la parole, nous servait de bouclier ; mais il n’a pas l’égalité d’âme et la com-