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LE COLLIER DES JOURS

feld, — « le héros du chant », comme Wagner l’appelait, — brusquement saisi par la mort, au plus fort du combat, en pleine victoire. Il y avait cinq ans, mais le Maître ne pouvait se consoler d’avoir perdu cet ami, ce disciple, ce merveilleux interprète de son œuvre ; il n’y pensait jamais sans un serrement de cœur et il redoutait, par-dessus tout, de parler du cher disparu.

Schnorr était le fils d’un peintre célèbre et avait reçu une éducation supérieure ; très doué lui-même pour tous les arts, il avait été entraîné par un don de plus, magnifique et rare, celui d’une voix incomparable, vers la musique et vers le théâtre. Dès son premier contact avec les œuvres de Richard Wagner, Schnorr les avait comprises et profondément aimées. Malgré la célébrité croissante du jeune artiste, le Maître redouta longtemps de le voir, à cause de ce qu’on lui avait rapporté sur sa trop forte corpulence : il craignait que cette imperfection physique ne l’indisposât et ne le rendît injuste pour toutes les autres qualités : comme il ne savait guère dissimuler ses impressions, il évitait d’être mis en rapport avec l’interprète de ses œuvres. Ce fut donc en grand secret qu’il se rendit, un soir,