Page:Gautier - Le Vieux de la montagne, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/219

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après un grand tumulte. Ne me jugez pas fou, Hugues, mon ami : il me semble que je souffre de ne plus souffrir… Mon cœur est vide de sang, comme une plante dont la sève est desséchée. Sans doute, c’est une fleur, l’amour. Pour s’épanouir, elle aspire avidement au tiède printemps, et c’est la gelée qui est venue. La voici, à peine ouverte, flétrie et morte, cette fleur qui était le parfum et l’enchantement de ma vie, et je la pleure, en dépit des épines dont elle me déchirait.

— J’ai détourné sur moi, sans le vouloir, la faveur qui vous était due, et cela m’est un constant chagrin…

— Souvent Dieu vous envoie un mal pour votre bien, dit Homphroy avec vivacité. À cause de vous, la fleur s’est dénoncée vénéneuse. Vous m’avez sauvé du poison, et votre amitié, comme un baume, me guérira.

Ils échangèrent un triste et affectueux sourire et, pensifs, ne parlèrent plus, regardant le remous de l’eau, jusqu’à s’étourdir.

Le camp, si animé d’ordinaire, était silencieux, presque désert. Les tentes, claires au soleil, avec le triangle noir de leur entrée ouverte, moutonnaient comme des monticules de sable. Aucune