Page:Gautier - Le Vieux de la montagne, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/255

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et lisse, je ne distingue aucun de ces signes qui dénoncent le génie, aucun de ces sillons souverains de la pensée, rien de cette empreinte lumineuse, dont Dieu marque les dominateurs du monde. Non ; mais j’y puis lire l’expression d’un dévouement passionné, une candeur d’enfant, un oubli de soi-même qui conquiert à cet homme l’amour, tandis qu’à moi on ne me rend que des hommages.

Ah ! j’ai voulu être plus qu’un mortel ! Par la force de ma pensée, je me suis élevé au-dessus de mes semblables ; je les ai dominés par la science ; par la solitude, j’ai empli le monde de ma renommée ; par la continence, j’ai tout possédé. Rien ne m’atteignait plus des misères d’ici-bas… Et voilà, ainsi qu’un fils rebelle, mon cœur, si bien dompté, qui, brusquement, rompt le joug pour battre et souffrir comme un cœur vulgaire ! Aussi déchu de ma grandeur, je suis l’égal du premier homme venu, moins que lui, même, puisqu’on me le préfère.

Est-ce bien possible ? J’envie ce soldat ! Je suis jaloux de lui !… Moi, jaloux !… Se peut-il que je le haïsse au point de vouloir l’égorger de mes mains ?… Oui ! oui ! cela est. Je ne commande plus