Page:Gautier - Le Vieux de la montagne, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/262

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son amour. Ah ! n’est-ce pas la plus grande gloire de l’homme, cette liberté de l’âme que rien, jamais, ne peut lui ravir ?

— Ô Gazileh ! dois-je comprendre ?

— Comprends donc, malheureux ! Le temps nous manque pour ces douces et coquettes manœuvres de la pudeur qui retardent un aveu. Sache au moins, puisque tu te perds pour lui, que mon amour est à toi et que j’aime mieux mourir pour l’avoir dit que de vivre en me taisant.

— Est-ce que c’est un rêve encore ? dit Hugues, perdu dans une extatique contemplation. Vous dont le front rayonne d’autant de majesté que celui de Dieu même, vous dont un sourire vaut plus que la vie de dix chevaliers, vous qui, pendant de si cruelles années, étiez loin de moi, autant que les archanges du ciel, et pour qui seulement je désirais mourir, c’est vous qui m’avez parlé ?…

Avec une curiosité avide, ils se regardaient, car ils se connaissaient si peu que la réalité de leur existence leur causait à tous deux la même surprise. Cette image, qu’ils portaient l’un de l’autre dans leur pensée et qui était leur trésor unique,