Page:Gautier - Le Vieux de la montagne, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/261

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— Dans la prison où vous êtes captive, dit Hugues, n’est-ce pas là une grâce du ciel ? Quand je pouvais m’écraser au fond du gouffre et mourir sans vous avoir revue…

— J’étais courageuse et forte quand je craignais pour moi seule. Maintenant, ma crainte est doublée, et elle m’accable.

— Dites, que redoutez-vous ?

Gazileh se taisait. Ce fut Nahâr qui répondit :

— Le chevalier franc a vu Gazileh et l’a aimée. Raschid ed-Din a aimé Gazileh dès qu’il l’a vue ; et, s’il n’est pas choisi, celui qui jamais n’a été vaincu, il sacrifiera le vainqueur, avec celle qui décide la victoire.

Une brusque douleur crispa le cœur du jeune homme :

— Il vous aime, Gazileh ! dit-il. Et vous ?…

— En cela du moins, j’échappe à sa puissance ! s’écria-t-elle avec enthousiasme. Quel est le geôlier qui peut tenir captifs la pensée et le sentiment ? Il n’y a pas de cage pour ces ailes divines ; aucun lien ne les enchaîne, nulle torture ne les dompte. Eût-on même, par la souffrance, arraché à mes lèvres un aveu menteur, mon cœur resterait son maître : il garderait intact le trésor de