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BRIGANDS POUR LES OISEAUX.

sapins abattus et bondissant sur les bruyères comme une biche ayant une meute après elle. Les longues mèches de sa chevelure lui flagellaient les joues comme des serpents noirs, et parfois, retombant du front, lui interceptaient la vue ; alors, sans ralentir la rapidité de son allure, elle les repoussait avec la paume de la main derrière son oreille et faisait un geste d’impatience mutine ; mais ses pieds agiles semblaient n’avoir pas besoin d’être guidés par la vue, tant ils connaissaient le chemin.

L’aspect du lieu, autant qu’on pouvait le démêler à la lueur livide d’une lune à moitié masquée et portant pour touret de nez un nuage de velours noir, était particulièrement désolé et lugubre. Quelques sapins, que l’entaille destinée à leur soutirer la résine rendait semblables à des spectres d’arbres assassinés, étalaient leurs plaies rougeâtres sur le bord d’un chemin sablonneux, dont la nuit ne parvenait pas à éteindre la blancheur. Au delà, de chaque côté de la route, s’étendaient les bruyères d’un violet sombre, où flottaient des bancs de vapeurs grisâtres auxquelles les rayons de l’astre nocturne donnaient un air de fantômes en procession, bien fait pour porter la terreur en des âmes superstitieuses ou peu habituées aux phénomènes de la nature dans ces solitudes.

L’enfant, accoutumée sans doute à ces fantasmagories du désert, n’y faisait aucune attention et continuait sa course. Elle arriva enfin à une espèce de monticule couronné de vingt ou trente sapins qui formaient là comme une sorte de bois. Avec une agilité singu-