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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/144

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LE CAPITAINE FRACASSE.

intempestives, résorba, par un effort de courage viril, une larme qui germait furtivement au coin de son œil, et sauta à terre d’une façon délibérée pour tendre la main à l’Isabelle et aux comédiennes embarrassées de leurs jupes que le vent matinal faisait ballonner.

Le marquis de Bruyères, qui de loin avait vu venir le cortège comique, était debout sur le perron du château, en veste de velours tanné et chausses de même, bas de soie gris et souliers blancs à bout carré, le tout galamment passementé de rubans assortis. Il descendit quelques marches de l’escalier en fer à cheval, comme un hôte poli qui ne regarde pas de trop près à la condition de ses invités ; d’ailleurs la présence du baron de Sigognac dans la troupe pouvait à la rigueur justifier cette condescendance. Il s’arrêta au troisième degré, ne jugeant pas digne d’aller plus loin, il fit de là, aux comédiens, un signe de main amical et protecteur.

En ce moment la Soubrette présenta à l’ouverture de la banne sa tête maligne et futée, qui se détachait du fond obscur étincelante de lumière, d’esprit et d’ardeur. Ses yeux et sa bouche lançaient des éclairs. Elle se penchait, à demi sortie du chariot, appuyée des mains à la traverse de bois, laissant voir un peu de sa gorge par le pli relâché de sa guimpe, et comme attendant que l’on vînt à son secours. Sigognac, occupé d’Isabelle, ne faisait pas attention au feint embarras de la rusée coquine, qui leva vers le marquis un regard lustré et suppliant.

Le châtelain de Bruyères entendit cet appel. Il fran-