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LE CAPITAINE FRACASSE.

dont on a déchiré le papier. Des touches de neige fantasquement posées ajoutaient encore à l’horreur de ce spectacle charogneux en accusant les saillies et les articulations des os. On eût dit ces animaux chimériques que chevauchent les Aspioles ou les Goules aux cavalcades du Sabbat.

Les comédiens déposèrent le corps à terre, et le garçon d’auberge se mit à bêcher vigoureusement le sol, rejetant les mottes noires parmi la neige, chose particulièrement lugubre, car il semble aux vivants que les pauvres défunts, encore qu’ils ne sentent rien, doivent avoir plus froid sous ces frimas pour leur première nuit de tombeau.

Le Tyran relayait le garçon, et la fosse se creusait rapidement. Déjà elle ouvrait les mâchoires assez largement pour avaler d’une bouchée le mince cadavre, lorsque les manants attroupés commencèrent à crier au huguenot et firent mine de charger les comédiens. Quelques pierres même furent lancées, qui n’atteignirent heureusement personne. Outré de colère contre cette canaille, Sigognac mit flamberge au vent et courut à ces malotrus, les frappant du plat de sa lame et les menaçant de la pointe. Au bruit de l’algarade, le Tyran avait sauté hors de la fosse, saisi un des bâtons du brancard, et s’en escrimait sur le dos de ceux que renversait le choc impétueux du Baron. La troupe se dispersa en poussant des cris et des malédictions, et l’on put achever les obsèques de Matamore.

Couché au fond du trou, le corps cousu dans son morceau de forêt avait plutôt l’air d’une arquebuse