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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/241

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EFFET DE NEIGE.

enveloppée de serge verte qu’on enfouit pour la cacher que d’un cadavre humain qu’on enterre. Quand les premières pelletées roulèrent sur la maigre dépouille du comédien, le Pédant, ému et ne pouvant retenir une larme qui, du bout de son nez rouge, tomba dans la fosse comme une perle du cœur, soupira d’une voix dolente, en manière d’oraison funèbre, cette exclamation qui fut toute la nénie et myriologie du défunt : « Hélas ! pauvre Matamore ! »

L’honnête Pédant, en disant ces mots, ne se doutait pas qu’il répétait les expresses paroles d’Hamlet, prince de Danemark, maniant le test d’Yorick, ancien bouffon de cour, ainsi qu’il appert de la tragédie du sieur Shakspeare, poëte fort connu en Angleterre, et protégé de la reine Élisabeth.

En quelques minutes la fosse fut comblée. Le Tyran éparpilla de la neige dessus pour dissimuler l’endroit, de peur qu’on ne fît quelque affront au cadavre, et, cette besogne terminée :

« Or çà, dit-il, quittons vivement la place, nous n’avons plus rien à faire ici ; retournons à l’auberge. Attelons la charrette et prenons du champ, car ces maroufles, revenant en nombre, pourraient bien nous affronter. Votre épée et mes poings n’y sauraient suffire. Un ost de pygmées vient à bout d’un géant. La victoire même serait inglorieuse et de nul profit. Quand vous auriez éventré cinq ou six de ces bélîtres, votre los n’en augmenterait point et ces morts nous mettraient dans l’embarras. Il y aurait lamentation de veuves, criaillement d’orphelins, chose ennuyeuse et