Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/302

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
294
LE CAPITAINE FRACASSE.

robe ; bientôt arriva le marquis. Il me trouva charmante en mon déshabillé de taffetas flambé de blanc et de cerise, et il jura que vraiment il m’aimait à la folie. Nous soupâmes, et quoiqu’il en coûte à ma modestie, je dois avouer que je fus éblouissante. Je me sentais un esprit du diable ; les saillies me jaillissaient, les rencontres me venaient, parmi d’étincelantes fusées de rire ; c’était un entrain, une verve, une furie joyeuse qu’on n’imagine pas. Il y avait de quoi faire danser les morts et flamber les cendres du vieux roi Priam. Le marquis ébloui, fasciné, enivré, m’appelait tantôt ange et tantôt démon ; il me proposait de tuer sa femme et de m’épouser. Le cher homme ! il l’aurait fait comme il le disait, mais je ne voulus point, disant que ces tueries étaient choses fades, bourgeoises et communes. Je ne crois pas que Laïs, la belle Impéria et madame Vannoza qui fut maîtresse d’un pape, aient jamais plus galamment égayé une médianoche. Ce fut ainsi pendant plusieurs jours. Peu à peu cependant le marquis devint rêveur, il semblait chercher quelque chose dont il ne se rendait pas compte et qui lui manquait. Il fit quelques courses à cheval, et même il invita deux ou trois amis comme pour se distraire. Le sachant vaniteux, je m’attifai à mon avantage et redoublai de gentillesses, grâces et minauderies devant ces hobereaux qui jamais ne s’étaient trouvés à pareille fête : au dessert, me faisant des castagnettes avec une assiette de porcelaine de Chine cassée, j’exécutai une sarabande si folle, si lascive, si enragée, qu’elle eût damné un saint. C’était des bras