Aller au contenu

Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/301

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
293
LES CHOSES SE COMPLIQUENT.

tinua Zerbine, je ne pus me défendre d’une certaine appréhension. Je n’avais pas à craindre pour ma vertu, mais j’eus un instant l’idée que le marquis voulait me claquemurer là dans une espèce d’oubliette, d’où il me tirerait de temps à autre au gré de son caprice. Je n’ai aucun goût pour les donjons à soupiraux grillés et ne souffrirais pas la captivité, même pour être sultane favorite de Sa Hautesse le Grand Seigneur ; mais je me dis, je suis soubrette de mon métier, et j’ai, en ma vie, tant fait évader d’Isabelles, de Léonores et de Doralices que je saurai bien trouver une ruse pour m’échapper moi-même, si, toutefois, on me veut retenir. Il serait beau qu’un jaloux fît Zerbine prisonnière ! J’entrai donc bravement, et fus surprise de la plus agréable manière du monde, en voyant que ce logis refrogné qui faisait la grimace aux passants souriait aux hôtes. Délabrement en dehors, luxe en dedans. Un bon feu flambait dans la cheminée. Des bougies roses reflétaient leurs clartés aux miroirs des appliques, et sur la table avec force cristaux, argenterie et flacons, un souper aussi abondant que délicat était servi. Au bord du lit, négligemment jetées, des pièces d’étoffes fripaient dans leurs plis des reflets de lumière. Des bijoux posés sur la toilette, bracelets, colliers, pendants d’oreilles, lançaient de folles bluettes et de brusques scintillements d’or. Je me sentais tout à fait rassurée. Une jeune paysanne, soulevant la portière, vint m’offrir ses services et me débarrassa de mon habit de voyage pour m’en faire prendre un plus convenable qui se trouvait tout préparé dans la garde-