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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/316

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LE CAPITAINE FRACASSE.

retirée au fond de son appartement, mais pendant sa faction dans la ruelle un œil jaloux l’épiait à travers la vitre d’une autre fenêtre, celui de Sigognac à qui les allures et menées du personnage déplaisaient fort. Dix fois le Baron fut tenté de descendre et d’attaquer le galant l’épée haute, mais il se contint. Il n’y avait rien d’assez formel dans l’action de se promener le long d’une muraille pour justifier une semblable agression, qu’on eût taxée de folle et ridicule. L’éclat en eût pu nuire à la renommée d’Isabelle, tout innocente de ces regards levés en haut toujours au même endroit. Il se promit toutefois de surveiller de près le galantin et en grava les traits dans sa mémoire pour le reconnaître quand besoin serait.

Hérode avait choisi pour la représentation du lendemain, annoncée et tambourinée par toute la ville, Lygdamon et Lydias, ou la Ressemblance, tragi-comédie d’un certain Georges de Scudéry, gentilhomme, qui, après avoir servi aux gardes françaises, quittait l’épée pour la plume et ne se servait pas moins bien de l’une que de l’autre, et les Rodomontades du capitaine Fracasse, où Sigognac devait débuter devant un véritable public, n’ayant encore joué que pour les veaux, les bêtes à cornes et les paysans, dans la grange de Bellombre. Tous les comédiens étaient fort affairés à apprendre leurs rôles ; la pièce du sieur de Scudéry étant nouvellement mise en lumière, ils ne la connaissaient point. Rêveurs et brochant des babines comme singes disant leurs patenôtres, ils se promenaient sur la galerie, tantôt marmottant, tantôt poussant de