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LES CHOSES SE COMPLIQUENT.

grands éclats de voix. Qui les eût vus les eût pris pour gens forcenés et hors de sens. Ils s’arrêtaient tout court, puis repartaient à grands pas, agitant les bras comme moulins démanchés. Léandre surtout, qui devait jouer Lygdamon, cherchait des poses, essayait des effets et se démenait comme un diable dans un bénitier. Il comptait sur ce rôle pour réaliser son rêve d’inspirer de l’amour à une grande dame et prendre sa revanche des coups de bâton reçus au château de Bruyères, coups de bâton qui lui étaient restés plus longtemps encore sur le cœur que sur le dos. Ce rôle d’amant langoureux et transi, poussant les beaux sentiments aux pieds d’une inhumaine, en vers d’un assez bon tour, prêtait à des clins d’yeux, à des soupirs, à des pâleurs et à toutes sortes d’afféteries attendrissantes, à quoi excellait principalement le sieur Léandre, un des meilleurs amoureux de la province, malgré ses prétentions et ses ridicules.

Sigognac, dont Blazius s’était institué le professeur, étudiait dans sa chambre avec le vieux comédien et se façonnait à cet art difficile du théâtre. Le type qu’il représentait par son caractère extravagamment outré s’éloignait du naturel, et cependant il fallait que sous l’exagération on sentît la vérité et qu’on démêlât l’homme à travers le fantoche. Blazius lui donnait des conseils en ce sens et lui enseignait à commencer par un ton simple et vrai pour arriver à des intonations bizarres, ou bien à rentrer dans la diction ordinaire après des cris de paon plumé vif, car il n’est personnage si affecté qui le soit toujours.