Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/376

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
368
LE CAPITAINE FRACASSE.

sion que vous me marquiez. Votre lettre, remise à une suivante infidèle, est tombée aux mains du marquis. Il y fit la réponse que vous reçûtes et qui vous abusa. Plus tard M. de Bruyères, riant de ce qu’il appelait un bon tour, me fit lire cette missive où éclatait l’amour le plus vif et le plus pur, comme une pièce d’un parfait ridicule. Mais il ne produisit pas l’effet qu’il attendait. Le sentiment que j’avais pour vous ne fit que s’accroître, et je résolus de vous récompenser des peines que vous aviez endurées pour moi. Sachant mon mari occupé à sa nouvelle conquête, je suis venue à Poitiers ; cachée sous ce masque, je vous entendis exprimer si bien l’amour fictif que je voulus voir si vous seriez aussi éloquent en parlant pour vous-même.

— Madame, dit Léandre en s’agenouillant sur un carreau aux pieds de la marquise, qui s’était laissée tomber entre les bras d’un fauteuil, comme épuisée par l’effort que l’aveu qu’elle venait de faire avait coûté à sa pudeur, madame, ou plutôt reine et déité, que peuvent être des paroles fardées, des flammes contrefaites, des concetti imaginés à froid par des poëtes qui se rongent les ongles, de vains soupirs poussés aux genoux d’une comédienne barbouillée de rouge et dont les yeux distraits errent parmi le public, à côté de mots jaillis de l’âme, de feux qui brûlent les moelles, des hyperboles d’une passion à laquelle tout l’univers ne saurait fournir d’assez brillantes images pour parer son idole, et des élans d’un cœur qui voudrait s’élancer de la poitrine où il est contenu pour