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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/377

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COUPS D’ÉPÉE, COUPS DE BÂTON, ETC.

servir de coussin aux pieds de l’objet adoré ? Vous daignez trouver, céleste marquise, que j’exprime avec chaleur l’amour dans les pièces de théâtre, c’est que je n’ai jamais regardé une actrice, et que mon idée va toujours au delà, vers un idéal parfait, quelque dame belle, noble, spirituelle comme vous, et c’est elle seule que j’aime sous les noms de Silvie, de Doralice et d’Isabelle, qui lui servent de fantômes. »

En disant cela, Léandre, trop bon acteur pour oublier que la pantomime doit accompagner le débit, se penchait sur une main que la marquise lui abandonnait et la couvrait de baisers ardents. La marquise laissait errer ses doigts blancs, longs et chargés de bagues dans la chevelure soyeuse et parfumée du comédien, et regardait sans les voir, à demi renversée dans son fauteuil, les petits Amours ailés au plafond bleu turquin.

Tout à coup la marquise repoussa Léandre et se leva en chancelant.

« Oh ! finissez, dit-elle d’une voix brève et haletante, finissez, Léandre, vos baisers me brûlent et me rendent folle ! »

Et, s’appuyant de la main à la muraille, elle gagna la porte par où elle était entrée et souleva la portière, dont le pli retomba sur elle et sur Léandre, qui s’était approché pour la soutenir.

Une aurore d’hiver soufflait dans ses doigts rouges, quand Léandre, bien enveloppé de sa cape et dormant à demi dans le coin du carrosse, fut ramené à la porte de Poitiers. Ayant soulevé le coin du mantelet pour