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LE CAPITAINE FRACASSE.

de la maison ; mais la vue de tous ces nouveaux visages l’épouvantait et sa poltronnerie combattait sa gourmandise.

Ne trouvant pas la lueur de la lampe suffisamment rayonnante, le Matamore était allé chercher dans la charrette deux flambeaux de théâtre, en bois entouré de papier doré et munis chacun de plusieurs bougies, renfort qui produisit une illumination assez magnifique. Ces flambeaux, dont la forme rappelait celle du chandelier à sept branches de l’Écriture, se plaçaient ordinairement sur l’autel de l’hyménée, au dénoûment des pièces à machines, ou sur la table du festin, dans la Marianne de Mairet et l’Hérodiade de Tristan.

À leur clarté et à celle des bourrées flambantes, la chambre morte avait repris une espèce de vie. De faibles rougeurs coloraient les joues pâles des portraits, et si les douairières vertueuses, engoncées dans leurs collerettes et roides sous leur vertugadin, prenaient un air pincé à l’aspect des jeunes comédiennes folâtrant dans ce grave manoir, en revanche, les guerriers et les chevaliers de Malte semblaient leur sourire du fond de leur cadre et se trouver heureux d’assister à pareille fête, à l’exception de deux ou trois vieilles moustaches grises boudant obstinément sous leur vernis jaune, et gardant, malgré tout, les mines rébarbatives dont le peintre les avait dotées.

Un air plus tiède et plus vivace circulait dans cette vaste salle, où l’on ne respirait habituellement que l’humidité moisie du sépulcre. Le délabrement des