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LE CHARIOT DE THESPIS.

de ses griffes acérées encore, avait escaladé de l’autre côté la botte et la cuisse de Sigognac, et présentait au niveau de l’arçon sa tête noire essorillée, faisant un ronron formidable et roulant ses grands yeux jaunes ; il implorait aussi un signe d’adieu. Le jeune Baron passa deux ou trois fois sa main sur le crâne du chat, qui se haussait et se poussait pour mieux jouir du grattement amical. Nous espérons qu’on ne rira pas de notre héros, si nous disons que les humbles preuves d’affection de ces créatures privées d’âme, mais non de sentiment, lui firent éprouver une émotion bizarre, et que deux larmes montées du cœur avec un sanglot, tombèrent sur la tête de Miraut et de Béelzébuth et les baptisèrent amis de leur maître, dans le sens humain du terme.

Les deux animaux suivirent quelque temps de l’œil Sigognac qui avait mis sa monture au trot pour rejoindre la charrette, et, l’ayant perdu de vue à un détour de la route, reprirent fraternellement le chemin du manoir.

L’orage de la nuit n’avait pas laissé, sur le terrain sablonneux des landes, les traces qui dénotent les pluies abondantes dans des campagnes moins arides ; le paysage, rafraîchi seulement, offrait une sorte de beauté agreste. Les bruyères, nettoyées de leur couche de poudre par l’eau du ciel, faisaient briller au bord des talus leurs petits bourgeons violets. Les ajoncs reverdis balançaient leurs fleurs d’or ; les plantes aquatiques s’étalaient sur les mares renouvelées ; les pins eux-mêmes secouaient moins funèbrement leur