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LE CAPITAINE FRACASSE.

feuillage sombre et répandaient un parfum de résine ; de petites fumées bleuâtres montaient gaiement du sein d’une touffe de châtaigniers trahissant l’habitation de quelque métayer, et sur les ondulations de la plaine déroulée à perte de vue, on apercevait, comme des taches, des moutons disséminés sous la garde d’un berger rêvant sur ses échasses. Au bord de l’horizon, pareils à des archipels de nuages blancs ombrés d’azur, apparaissaient les sommets lointains des Pyrénées à demi estompés par les vapeurs légères d’une matinée d’automne.

Quelquefois la route se creusait entre deux escarpements dont les flancs éboulés ne montraient qu’un sable blanc comme de la poudre de grès, et qui portaient sur leur crête des tignasses de broussailles, de filaments enchevêtrés fouettant au passage la toile du chariot. En certains endroits le sol était si meuble qu’on avait été obligé de le raffermir par des troncs de sapin posés transversalement, occasion de cahots qui faisaient pousser des hauts cris aux comédiennes. D’autres fois il fallait franchir, sur des ponceaux tremblants, les flaques d’eau stagnante et les ruisseaux qui coupaient le chemin. À chaque endroit périlleux, Sigognac aidait à descendre de voiture Isabelle plus timide ou moins paresseuse que Sérafine et la duègne. Quant au Tyran et à Blazius, ils dormaient insouciamment ballottés entre les coffres, en gens qui en avaient bien vu d’autres. Le Matamore marchait à côté de la charrette pour entretenir, par l’exercice, sa maigreur phénoménale dont il avait le plus grand soin, et à le