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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/94

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LE CAPITAINE FRACASSE.

nie en provisions et victuailles, si flambante de bon feu, si douillette en couchers, si assortie en draperies et vaisselles que l’hôtellerie du Soleil bleu ; et en cela il ne se trompait pas et ne trompait personne, car la plus proche auberge était éloignée de deux journées de marche au moins.

Le baron de Sigognac éprouvait malgré lui quelque honte à se trouver mêlé à cette troupe de comédiens ambulants, et il hésitait à franchir le seuil de l’auberge ; car, pour lui faire honneur, Blazius, le Tyran, le Matamore et le Léandre lui laissaient l’avantage du pas, lorsque l’Isabelle, devinant l’honnête timidité du Baron, s’avança vers lui avec une petite mine résolue et boudeuse :

« Fi ! monsieur le baron, vous êtes à l’endroit des femmes d’une réserve plus glaciale que Joseph et qu’Hippolyte. Ne m’offrirez-vous point le bras pour entrer dans cette hôtellerie ? »

Sigognac, s’inclinant, se hâta de présenter le poing à l’Isabelle, qui appuya sur la manche râpée du Baron le bout de ses doigts délicats, de manière à donner à cette légère pression la valeur d’un encouragement. Ainsi soutenu, le courage lui revint, et il pénétra dans l’auberge d’un air de gloire et de triomphe ; — cela lui était égal que toute la terre le vît. En ce plaisant royaume de France, celui qui accompagne une jolie femme ne saurait être ridicule et ne fait que jaloux.

Chirriguirri vint au-devant de ses hôtes et mit son logis à la disposition des voyageurs avec une emphase qui sentait le voisinage de l’Espagne. Une veste de cuir