Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
87
L’AUBERGE DU SOLEIL BLEU.

à la façon des Marégates, cerclée aux hanches par un ceinturon à boucle de cuivre, faisait ressortir les formes vigoureuses de son buste ; mais un bout de tablier retroussé par un coin, un large couteau plongé dans une gaine de bois tempéraient ce que sa mine pouvait avoir d’un peu farouche, et mêlaient à l’ancien contrabandista une portion de cuisinier rassurante ; de même que son sourire bénin balançait l’effet inquiétant d’une profonde cicatrice qui, partant du milieu du front, s’allait perdre sous des cheveux coupés en brosse. Cette cicatrice que Chirriguirri, en se penchant pour saluer le béret à la main, présentait forcément aux regards, se distinguait de la peau par une couleur violacée et une dépression des chairs qui n’avaient pu combler tout à fait l’horrible hiatus. — Il fallait être un solide gaillard pour n’avoir point laissé fuir son âme par une semblable fêlure ; aussi Chirriguirri était-il un gaillard solide, et son âme, sans doute, n’était point pressée d’aller voir ce que lui réservait l’autre monde. Des voyageurs méticuleux et timorés eussent trouvé peut-être le métier d’aubergiste bien pacifique pour un hôtelier de cette tournure ; mais, comme nous l’avons dit, le Soleil bleu était la seule hôtellerie logeable dans ce désert.

La salle dans laquelle pénétrèrent Sigognac et les comédiens n’était pas aussi magnifique que Chirriguirri l’assurait : le plancher consistait en terre battue, et, au milieu de la chambre, une espèce d’estrade formée de grosses pierres composait le foyer. Une ouverture pratiquée au plafond, et barrée d’une tringle