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LE RADIS COURONNÉ.

et entre les jambes des buveurs les miettes tombées du festin.

Quand Jacquemin Lampourde entra au Radis couronné, le plus triomphant vacarme régnait dans l’établissement. Des gaillards à mine truculente, tendant leurs pots vides, frappaient sur les tables des coups de poing à tuer des bœufs et qui faisaient trembler les suifs emmanchés dans des martinets de fer. D’autres criaient « tope et masse » en répondant à des rasades. Ceux-ci accompagnaient une chanson bachique, hurlée en chœur avec des voix aussi lamentablement fausses que celles de chiens hurlant à la lune, d’un cliquetis de couteau sur les côtes de leurs verres et d’un remuement d’assiettes tournées en meule. Ceux-là inquiétaient la pudeur des Maritornes, qui, les bras élevés au-dessus de la foule, portaient des plats de victuailles fumantes et ne pouvaient se défendre contre leurs galantes entreprises, tenant plus à conserver leur plat que leur vertu. Quelques-uns pétunaient dans de longues pipes de Hollande et s’amusaient à souffler de la fumée par les naseaux.

Il n’y avait pas que des hommes dans cette cohue, le beau sexe y était représenté par quelques échantillons assez laids ; car le vice se permet parfois de n’avoir pas le nez mieux fait que la vertu. Ces Philis, dont le premier venu, moyennant la pièce ronde, pouvait être le Tircis ou le Tityre, se promenaient par couples, s’arrêtant aux tables, et buvaient comme colombes familières en la coupe de chacun. Ces copieuses lampées, jointes à la chaleur du lieu, faisaient