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LE CAPITAINE FRACASSE.

leurs joues cramoisies sous le rouge de brique dont elles étaient enluminées, en sorte qu’elles semblaient des idoles peintes à deux couches. Des cheveux faux ou vrais, tournés en accroche-cœurs, étaient plaqués sur leurs fronts luisants de céruse ou, calamistrés au fer, allongeaient leurs spirales jusque sur des poitrines largement découvertes et passées au badigeon, non sans quelque petite veine d’azur dessinée en leurs blancheurs postiches. Leurs ajustements affectaient une braverie mignarde et galante. Ce n’était que rubans, plumes, broderies, galons, ferrets, aiguillettes, couleurs vives ; mais il était aisé de voir que ce luxe, fait pour la montre, n’avait rien de réel et sentait la friperie : les perles n’étaient que verre soufflé, les bijoux d’or que cuivre, les robes de soie que vieilles jupes retournées et reteintes ; mais ces élégances de mauvais aloi suffisaient à éblouir les yeux avinés des compagnons réunis en ce bouge. Quant à l’odeur, si ces dames ne flairaient pas la rose, elles sentaient le musc comme un terrier de putois, seule odeur assez forte pour dominer les infectes exhalaisons du taudis, et qu’on trouvait par comparaison plus suave que baume, ambroisie et benjoin. Quelquefois un plumet échauffé de luxure et de boisson faisait asseoir sur son genou une de ces beautés peu farouches, et lui chuchotait à l’oreille, dans un gros baiser, des propositions anacréontiques reçues avec des rires affectés et un « non » qui voulait dire « oui » ; puis, au long de l’escalier, on voyait des groupes qui montaient, l’homme le bras sur la taille de la femme, la femme se retenant à la