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LE CAPITAINE FRACASSE.
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qu’on n’eût pu désirer plus respectueuse pour une reine.

Si la jeune comédienne était belle, Vallombreuse, il faut l’avouer, n’était pas moins beau ; la lumière donnait en plein sur sa figure d’une régularité parfaite et semblable à celle d’un jeune dieu grec qui se serait fait duc depuis la déchéance de l’Olympe. En ce moment, l’amour et l’admiration qui s’y peignaient en avaient fait disparaître cette expression impérieusement cruelle qu’on regrettait parfois d’y voir. Les yeux jetaient des flammes, la bouche semblait lumineuse ; à ses joues pâles il montait du cœur comme une sorte de clarté rose. Des éclairs bleuâtres passaient sur ses cheveux bouclés et lustrés de parfums comme des frissons de jour sur du jayet poli. Son col, délicat et robuste à la fois, prenait des blancheurs de marbre. Illuminé par la passion, il rayonnait, il étincelait, et vraiment on comprenait qu’un duc fait de la sorte ne pût admettre l’idée que déesse, reine ou comédienne lui résistât.

Enfin Isabelle tourna la tête et vit le duc de Vallombreuse agenouillé à six pas d’elle. Persée lui eût porté au visage le masque de Méduse, enchâssé dans son bouclier et faisant la grimace de l’agonie au milieu d’un éparpillement de serpenteaux, qu’elle n’eût pas éprouvé une stupeur pareille. Elle resta glacée, pétrifiée, les yeux dilatés de terreur, la bouche entr’ouverte et le gosier aride, sans pouvoir faire un mouvement ni pousser un cri. Une pâleur de mort se répandit sur ses traits, son dos s’emperla de sueur froide ; elle crut qu’elle allait s’évanouir ; mais, par un prodigieux