Aller au contenu

Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
137
DOUBLE ATTAQUE.

effort de volonté, elle rappela ses sens pour ne pas rester exposée aux entreprises de ce téméraire.

« Je vous inspire donc une bien insurmontable horreur, dit Vallombreuse sans quitter sa position et de la voix la plus douce, que ma vue seule vous produit un tel effet. Un monstre d’Afrique sortant de sa caverne, la gueule rouge, les dents aiguisées et les griffes en arrêt vous eût, certes, moins effrayée. Mon entrée, j’en conviens, a été un peu inopinée et subite ; mais il ne faut pas en vouloir à la passion des incivilités qu’elle fait commettre. Pour vous voir, j’ai affronté votre courroux, et mon amour, au risque de vous déplaire, se met à vos pieds suppliant et timide.

— De grâce, monsieur le duc, relevez-vous, dit la jeune comédienne, cette position ne vous convient point. Je ne suis qu’une pauvre actrice de province, et mes faibles charmes ne méritent pas une telle conquête. Oubliez un caprice passager et portez ailleurs des vœux que tant de femmes seraient heureuses de combler. Ne rendez point les reines, les duchesses et les marquises jalouses à cause de moi.

— Et que m’importent toutes ces femmes, fit impétueusement Vallombreuse en se relevant, si c’est votre fierté que j’adore, si vos rigueurs ont plus de charmes à mes yeux que les faveurs des autres, si votre sagesse m’enivre, si votre modestie excite ma passion jusqu’au délire, s’il faut que vous m’aimiez ou que je meure ! Ne craignez rien, ajouta-t-il en voyant qu’Isabelle ouvrait la fenêtre comme pour se précipiter s’il se portait à quelque violence, je ne demande autre