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LE CAPITAINE FRACASSE.

intentions de Vallombreuse, s’était bien promis de veiller au grain, et l’oreille appliquée au trou de la serrure il écoutait, par une indiscrétion louable, cet entretien hasardeux, sauf à intervenir lorsque la scène chaufferait trop. Sa prudence avait ainsi sauvé la vertu d’Isabelle des entreprises de ce méchant duc outrageux et pervers.

Cette journée devait être orageuse. Lampourde, on s’en souvient, avait reçu de Mérindol la mission de dépêcher le capitaine Fracasse ; aussi le bretteur, guettant l’occasion de l’attaquer, faisait-il pied de grue sur l’esplanade où s’élève le roi de bronze, car Sigognac, pour rentrer à l’auberge, devait forcément prendre le Pont-Neuf. Jacquemin était là déjà depuis plus d’une heure soufflant dans ses doigts pour ne pas les avoir gourds au moment de l’action, et battant la semelle afin de se réchauffer les pieds. Le temps était froid et le soleil se couchait derrière le pont Rouge, au delà des Tuileries, dans des nuages sanguinolents. Le crépuscule baissait rapidement, et déjà les passants se faisaient rares.

Enfin Sigognac parut marchant d’un pas hâté, car une vague inquiétude l’agitait à l’endroit d’Isabelle, et il se pressait de rentrer au logis. Dans cette précipitation, il ne vit pas Lampourde qui, lui prenant le bord du manteau, le lui tira d’un mouvement si sec et si brusque que les cordons en rompirent. En un clin d’œil Sigognac se trouva en simple pourpoint. Sans chercher à disputer sa cape à cet assaillant qu’il prit d’abord pour un vulgaire tire-laine, il mit, avec la