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LE CAPITAINE FRACASSE.

je serais resté parmi les rangs de vos adorateurs, essayant, à force de galanteries délicates, de magnificences amoureuses, de dévouements chevaleresques, de passion ardente et contenue, d’attendrir lentement ce cœur rebelle. Je vous aurais inspiré sinon de l’amour, du moins cette pitié tendre qui parfois le précède et l’amène. À la longue, peut-être, votre froideur se serait trouvée injuste, car rien ne m’eût coûté pour la mettre dans son tort.

— Si vous aviez employé ces moyens si honnêtes, dit Isabelle, j’aurais plaint un amour que je n’aurais pu partager, puisque mon cœur ne se donnera jamais, et, du moins, je n’eusse pas été contrainte de vous haïr, sentiment qui n’est point fait pour mon âme, et qu’il lui est douloureux d’éprouver.

— Vous me détestez donc bien ? fit le duc de Vallombreuse avec un tremblement de dépit dans la voix. Je ne le mérite pas, cependant. Mes torts envers vous, si j’en ai, viennent de ma passion même ; et quelle femme, pour chaste et vertueuse qu’elle soit, en veut sérieusement à un galant homme de l’effet que ses charmes ont produit sur lui malgré elle ?

— Certes, ce n’est point un motif d’aversion lorsque l’amant se tient dans les limites du respect et soupire avec une timidité discrète. La plus prude le peut supporter ; mais quand son impatience insolente se livre tout d’abord aux derniers excès et procède par le guet-apens, le rapt et la séquestration, comme vous n’avez pas craint de le faire, il n’est pas d’autre sentiment possible qu’une invincible répugnance. Toute