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LE CAPITAINE FRACASSE.

l’avons dit, et de ses doigts crispés, il se retint à l’arbre, faisant osciller son corps suspendu sur l’abîme, pour tâcher de rattraper le tronc avec les pieds ou les jambes. Il n’y réussit pas et resta allongé comme un I majuscule, le bras horriblement tenaillé par le poids du reste. Les doigts, ne voulant pas lâcher prise, s’enfonçaient dans l’écorce comme des griffes de fer, et les nerfs se tendaient sur la main près de se rompre, ainsi que les cordes d’un violon dont on tourne trop les chevilles. S’il eût fait clair, on eût pu voir le sang jaillir des ongles bleuis.

La position n’était pas gaie. Accroché par un seul bras qu’étirait affreusement le poids de son corps, La Râpée, outre la souffrance physique, éprouvait la vertigineuse horreur de la chute mêlée d’attirance qu’inspire la suspension au-dessus d’un gouffre. Ses yeux dilatés regardaient fixement la profondeur sombre ; ses oreilles bourdonnaient ; des sifflements traversaient ses tempes comme des flèches ; il avait des envies de se précipiter que réfrénait l’instinct toujours vivace de la conservation : il ne savait pas nager, et pour lui, ce fossé c’était le tombeau.

Malgré son air farouche et ses sourcils charbonnés, au fond Hérode était assez bonasse. Il eut pitié de ce pauvre diable qui pendillait dans le vide depuis quelques minutes longues comme l’éternité, et dont l’agonie se prolongeait avec des angoisses atroces. Se penchant sur le tronc d’arbre, il dit à La Râpée :

« Coquin, si tu me promets sur ta vie en l’autre monde, car en celui-ci elle m’appartient, de rester