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LE CAPITAINE FRACASSE.

autour l’un et l’autre avec cette lenteur prudente qu’apportent aux luttes qui doivent être mortelles les habiles de l’escrime. Vallombreuse n’était pas d’une force égale à celle de Sigognac ; mais il avait, comme il convenait à un homme de sa qualité, fréquenté longtemps les académies, mouillé plus d’une chemise aux salles d’armes, et travaillé sous les meilleurs maîtres. Il ne tenait donc pas son épée comme un balai, suivant la dédaigneuse expression de Lampourde à l’adresse des ferrailleurs maladroits qui, selon lui, déshonoraient le métier. Sachant combien son adversaire était redoutable, le jeune duc se renfermait dans la défensive, parait les coups et n’en portait point. Il espérait lasser Sigognac déjà fatigué par l’attaque du château et son duel avec Malartic, car il avait entendu le bruit des épées à travers la porte. Cependant, tout en déjouant le fer du Baron, de sa main gauche il cherchait sur sa poitrine un petit sifflet d’argent suspendu à une chaînette. Quand il l’eut trouvé, il le porta à ses lèvres et en tira un son aigu et prolongé. Ce mouvement pensa lui coûter cher ; l’épée du Baron faillit lui clouer la main sur la bouche ; mais la pointe, relevée par une riposte un peu tardive, ne fit que lui égratigner le pouce. Vallombreuse reprit sa garde. Ses yeux lançaient des regards fauves pareils à ceux des jettatores et des basilics, qui ont la vertu de tuer ; un sourire d’une méchanceté diabolique crispait les coins de sa bouche, il rayonnait de férocité satisfaite, et sans se découvrir il avançait sur Sigognac, lui poussant des bottes toujours parées.