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LE CAPITAINE FRACASSE.

silencieux des heures entières, assis, le menton dans la main, à l’angle de la cheminée.

L’apparition d’Isabelle au château avait donné un but à ce vague besoin d’aimer qui tourmente la jeunesse et dans l’oisiveté s’attache à des chimères. Les grâces, la douceur, la modestie de la jeune comédienne avaient touché Sigognac au plus tendre de l’âme, et il l’aimait réellement beaucoup. Elle avait guéri la blessure faite par le mépris d’Yolande.

Sigognac, après s’être laissé aller à ces rêvasseries fantasmagoriques, se tança de sa paresse et parvint, non sans peine, à fixer son attention sur la pièce qu’Isabelle lui avait confiée pour en retoucher quelques passages. Il retrancha certains vers qui ne congruaient pas à la physionomie de la jeune comédienne, il en ajouta certains autres ; il refit la déclaration d’amour du galant comme froide, prétentieuse, guindée et sentant son phébus. Celle qu’il substitua était, certes, plus naturelle, plus passionnée, plus chaude ; il l’adressait, en idée, à Isabelle même.

Ce travail l’amena fort tard dans la nuit, mais il s’en tira à son avantage et satisfaction, et fut récompensé, le lendemain, par un gracieux sourire d’Isabelle, qui se mit tout de suite à apprendre les vers que son poëte, comme elle l’appelait, avait arrangés. Ni Hardy, ni Tristan n’eussent mieux fait.

À la représentation du soir, la foule fut encore plus considérable que la veille, et peu s’en fallut que le portier ne restât étouffé dans la presse des specta-