Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/309

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
302
LE CAPITAINE FRACASSE.

— C’est bien cela. Les Sigognac ont des armes parlantes ; ils portent d’azur à trois cigognes d’or, deux et une. Leur noblesse est fort ancienne. Palamède de Sigognac figurait glorieusement à la première croisade. Un Raimbaud de Sigognac, le père de celui-ci, sans doute, était fort ami et compagnon de Henri IV en sa jeunesse, mais il ne le suivit point à la cour ; car ses affaires, dit-on, étaient fort dérangées, et l’on ne gagnait guère que des coups sur les talons du Béarnais.

— Si dérangées, que notre troupe, forcée par une nuit pluvieuse à chercher un asile, trouva le fils dans une tourelle à hiboux tout en ruines, où se consumait sa jeunesse, et que nous l’arrachâmes à ce château de la misère, craignant qu’il n’y mourût de faim par fierté et mélancolie ; je n’ai jamais vu infortune plus vaillamment supportée.

— Pauvreté n’est pas forfaiture, dit le prince, et toute noble maison qui n’a point failli à l’honneur peut se relever. Pourquoi, en son désastre, le baron de Sigognac ne s’est-il pas adressé à quelqu’un des anciens compagnons d’armes de son père, ou même au roi, le protecteur né de tous les gentilshommes ?

— Le malheur rend timide, quelque brave qu’on soit, répondit Isabelle, et l’amour-propre retient le courage. En venant avec nous, le Baron comptait rencontrer à Paris une occasion favorable qui ne s’est point présentée ; pour n’être point à notre charge, il a voulu remplacer un de nos camarades mort en route, et comme cet emploi se joue sous le masque, il n’y pensait pas compromettre sa dignité.