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LE CAPITAINE FRACASSE.
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luer le retour du dernier rejeton de la famille qu’elles avaient symbolisée pendant tant de siècles. Un hennissement prolongé semblable à un clairon se fit entendre. C’était Bayard qui du fond de son écurie sentait son maître et tirait de ses vieux poumons asthmatiques cette fanfare éclatante !

« Bien, bien, je t’entends, mon pauvre Bayard, dit Sigognac en descendant de cheval et en jetant les rênes à Pierre ; je vais t’aller dire bonjour. » Et il se dirigeait du côté de l’écurie lorsqu’il faillit choir : une masse noirâtre s’enchevêtrait dans ses jambes miaulant, ronronnant, faisant le gros dos. C’était Béelzébuth qui exprimait sa joie avec tous les moyens que la nature a donnés à la race féline ; Sigognac le prit entre ses bras et l’éleva à la hauteur de son visage. Le matou était au comble du bonheur ; ses yeux ronds s’illuminaient de lueurs phosphoriques ; des frémissements nerveux lui faisaient ouvrir et fermer ses pattes aux ongles rétractiles. Il s’étranglait à force de filer vite son rouet et poussait avec une passion éperdue son nez, noir et grenu comme une truffe, contre la moustache de Sigognac. Après l’avoir bien caressé, car il ne dédaignait pas ces témoignages d’affection d’humbles amis, le Baron remit délicatement Béelzébuth à terre, et ce fut le tour de Bayard qu’il flatta, à plusieurs reprises, en lui frappant du plat de la main le col et la croupe. Le bon animal mettait sa tête sur l’épaule de son maître, grattait le sol de son pied et de l’arrière-train essayait une courbette fringante. Il accueillit poliment le bidet qu’on installa près de