Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/376

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
369
LE CHÂTEAU DU BONHEUR.

des murailles leur fraîcheur disparue. Les hercules à gaîne soutenaient la fausse corniche avec un air d’aisance dû à leurs muscles ronflants à la florentine. Les empereurs romains se prélassaient dans leur pourpre d’un ton vif. Les infiltrations de pluies ne géographiaient plus la voûte de leurs taches, et le treillage simulé laissait voir un ciel exempt de nuages.

Une métamorphose semblable s’était opérée partout. Les boiseries et les parquets avaient été refaits. Des meubles neufs, d’une forme pareille, remplaçaient les anciens. Le souvenir se trouvait rajeuni et non dépaysé. La verdure de Flandres avec le chasseur de halbrans tapissait encore la chambre de Sigognac, mais un lavage savant en avait ravivé les couleurs. Le lit était le même, seulement un patient sculpteur sur bois avait bouché les piqûres de tarets, ajusté aux figurines de la frise les nez et les doigts qui manquaient, continué les feuillages interrompus, rendu leurs arêtes aux ornements frustes et remis le vieux meuble en son intégrité primitive. Une brocatelle verte et blanche du même dessin que l’autre se plissait entre les spirales des colonnes torses, bien cirées et bien frottées.

La délicate Isabelle n’avait pas voulu se livrer à un luxe intempestif, toujours facile quand on dispose de grosses sommes ; mais elle avait pensé à charmer l’âme d’un mari tendrement aimé, en lui rendant ses impressions d’enfance dépouillées de leur misère et de leur tristesse. Tout semblait gai dans ce manoir naguère si mélancolique. Les portraits même des aïeux, débarbouillés de leur crasse, restaurés et vernis, sou-