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LE CHÂTEAU DU BONHEUR.

et tranquille, un salut parfaitement respectueux, et Yolande ne surprit pas dans les yeux de son ex-adorateur une étincelle de l’ancienne flamme. Elle cravacha son cheval et partit au galop entraînant sa petite troupe.

« Par les Vénus et les Cupidons, dit gaiement Vallombreuse au marquis de Bruyères, près duquel il chevauchait, voici une belle fille, mais elle a l’air diablement revêche et farouche ! Quels regards elle lançait à ma sœur ! C’était autant de coups de stylet.

— Quand on a été la reine d’un pays, répondit le marquis, on n’est pas bien aise d’être détrônée, et la victoire reste décidément à madame la baronne de Sigognac. »

La cavalcade rentra au château. Un somptueux repas, servi dans la salle où jadis le pauvre Baron avait fait souper les comédiens avec leurs propres provisions, n’ayant rien en son garde-manger, attendait les hôtes, qui furent charmés de sa belle ordonnance. Une riche argenterie aux armes de Sigognac étincelait sur une nappe damassée, dont la trame montrait, parmi ses ornements, des cigognes héraldiques. Les quelques pièces de l’ancien service qui n’étaient pas tout à fait hors d’usage avaient été religieusement conservées et mêlées aux pièces modernes pour que ce luxe n’eût pas l’air trop récent, et que l’ancien Sigognac contribuât un peu aux splendeurs du nouveau. On se mit à table. La place d’Isabelle était la même qu’elle occupait dans cette fameuse nuit qui avait changé le destin du Baron ; elle y pensait, Sigognac