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LE CAPITAINE FRACASSE.

aussi, car les époux échangèrent un sourire d’amants, attendri de souvenir et lumineux d’espérance.

Près de la crédence sur laquelle l’écuyer tranchant découpait les viandes, se tenait debout un homme de taille athlétique, à large face pâle entourée d’une épaisse barbe brune, vêtu de velours noir et portant au cou une chaîne d’argent, qui, de temps à autre, donnait des ordres aux laquais d’un air majestueux. Près d’un buffet chargé de bouteilles, les unes pansues, les autres effilées, quelques-unes nattées de sparterie, selon les provenances, se trémoussait avec beaucoup d’activité, malgré son tremblement sénile, une figure falotte, au nez rabelaisien tout fleuronné de bubelettes, aux joues fardées de purée septembrale, aux petits yeux vairons pleins de malice et surmontés d’un sourcil circonflexe. Sigognac, regardant par hasard de ce côté, reconnut dans le premier le tragique Hérode, dans le second le grotesque Blazius. Isabelle, voyant qu’il s’était aperçu de leur présence, lui dit à l’oreille que, pour mettre désormais ces braves gens à l’abri des misères de la vie théâtrale, elle avait fait l’un intendant et l’autre sommelier de Sigognac, conditions fort douces et n’exigeant pas grand travail ; de quoi le Baron tomba d’accord et approuva sa femme.

Le repas allait son train, et les flacons, activement remplacés par Blazius, se succédaient sans interruption, lorsque Sigognac sentit une tête s’appuyer sur un de ses genoux, et sur l’autre des griffes acérées jouer un air de guitare bien connu. C’étaient Miraut et Béelzébuth qui, profitant d’une porte entr’ouverte,