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LE CAPITAINE FRACASSE.

poudrez-moi ce jambonneau de chapelure ! tirez de la broche cet oison, il est à point ! encore cinq ou six tours pour cette poularde ! Vite, vite, enlevez le bœuf ! Il faut qu’il soit saignant. Laissez le veau et les poulets :


Les veaux mal cuits, les poulets crus,
Font les cimetières bossus.


Retenez cela, galopin. N’est pas rôtisseur qui veut. C’est un don du ciel. Portez ce potage à la reine au numéro 6. Qui a demandé les cailles au gratin ? Dressez vivement ce râble de lièvre piqué ! » Ainsi se croisaient dans un gai tumulte les propos substantiels et mots de gueule justifiant mieux leur titre que les mots de gueule gelés entendus de Panurge à la fonte des glaces polaires, car ils avaient tous rapport à quelque mets, condiment ou friandise.

Hérode, Blazius et Scapin, qui étaient sur leur bouche et gourmands comme chats de dévote, se pourléchaient les babines à cette éloquence si grasse, si succulente et si bien nourrie qu’ils disaient hautement préférer à celle d’Isocrate, Démosthène, Eschine, Hortensius, Cicéro et autres tels bavards dont les phrases ne sont que viandes creuses et ne contiennent aucun suc médullaire. « Il me prend des envies, dit Blazius, de baiser sur l’une et l’autre joue ce gros cuisinier, gras et ventripotent comme moine, qui gouverne toutes ces casseroles d’un air si superbe. Jamais capitaine ne fut plus admirable au feu ! »