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LE PONT-NEUF.

Au moment où un valet venait dire aux comédiens que leurs chambres étaient prêtes, un voyageur entra dans la cuisine et s’approcha de la cheminée ; c’était un homme d’une trentaine d’années, de haute taille, mince, vigoureux, de physionomie déplaisante quoique régulière. Le reflet du foyer bordait son profil d’un liseré de feu, tandis que le reste de sa figure baignait dans l’ombre. Cette touche lumineuse accusait une arcade sourcilière assez proéminente abritant un œil dur et scrutateur, un nez d’une courbure aquiline dont le bout se rabattait en bec crochu sur une moustache épaisse, une lèvre inférieure très-mince que rejoignait brusquement un menton ramassé et court comme si la matière eût manqué à la nature pour achever ce masque. Le col que dégageait un rabat de toile plate empesée laissait voir dans sa maigreur ce cartilage en saillie que les bonnes femmes expliquent par un quartier de la pomme fatale resté au gosier d’Adam et que quelques-uns de ses fils n’ont pas avalé encore. Le costume se composait d’un pourpoint en drap gris de fer agrafé sur une veste de buffle, d’un haut-de-chausses de couleur brune et de bottes de feutre remontant au-dessus du genou et se plissant en vagues spirales autour des jambes. De nombreuses mouchetures de boue, les unes sèches, les autres fraîches encore, annonçaient une longue route parcourue, et les mollettes des éperons rougies d’un sang noirâtre disaient que, pour arriver au terme de son voyage, le cavalier avait dû solliciter impérieusement les flancs de sa monture fatiguée. Une longue rapière, dont la coquille de fer