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les cruautés de l’amour

— Libres ! Vous les avez rendus libres ! Mon pauvre cher père ! le rêve de sa vie s’est donc enfin accompli !

— Oui, et le jour où j’allais leur annoncer cette nouvelle, en leur demandant leur bénédiction, toi tu t’enfuyais pour échapper à mon amour.

— Est-ce donc bien possible que vous m’aimiez ?

— Viens, dit-elle, l’émotion m’a brisée, je ne puis me tenir debout. Il y a là un banc près d’un buisson de jasmins.

Ils gagnèrent le banc et s’y assirent. La lune les enveloppa de sa lumière. Dans la profondeur du taillis un rossignol commença son chant tendre et douloureux, la rosée brillait çà et là sur les fleurs et sur les cailloux des allées.

— Tu demandes si je t’aime ? dit Clélia après un instant de silence. À présent je l’ai compris, je t’ai aimé dès la première minute où je t’ai vu, j’ai rêvé de toi la nuit même, le lendemain j’étais jalouse. Pauvre folle, j’ai cru pouvoir jouer avec le feu, mais le jour où je t’ai vu sanglant sur le chemin, j’ai senti que ta mort emporterait ma vie et que pour moi le monde n’existe pas sans toi. Je parle dans la sincérité de mon âme, je t’aime, André, consens-tu à me prendre pour femme ?

— Ah ! je savais bien que si elle me parlait je perdrais tout mon courage, s’écria-t-il en se lais-