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les cruautés de l’amour

de volailles ; et baissant les yeux j’aperçus une grande quantité de poules et poulets vivants enfermés dans des paniers d’osier. Je compris que ces pauvres bêtes n’avaient pas mangé depuis longtemps et je leur distribuai largement des poignées de graines puisées dans un grand sac entr’ouvert, puis je songeai à manger moi-même, car depuis deux jours j’avais oublié ce détail.

Je trouvai sans peine des vivres en abondance et, après m’être rassasié, je pensai que milady devait mourir de faim. Je descendis vers sa cabine, une tranche de jambon et un morceau de biscuit à la main.

— Madame, dis-je, grâce à mes rudes travaux, les plus grandes avaries sont réparées, et nous sommes à peu près en sûreté sur les restes du navire. Il faut prendre des forces, et se préparer aux événements. Mangez… mangez, milady ! La religion défend le suicide. Pour ne pas vous effaroucher, ajoutai-je, je dépose votre nourriture à votre porte, et je m’en vais.

Je revins en effet sur le pont, étant décidé à être très-froid avec milady.

Rien de nouveau ne s’était produit ; l’horizon était toujours aussi désert ; le navire marchait toujours dans la même direction, car le même vent soufflait ; et la journée s’écoula, monotone ; je