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les cruautés de l’amour

un atome du sentiment profond et violent que vous m’inspirez, au nom de l’amour, lisez-la jusqu’au bout sans colère. Un singulier combat se livre dans mon âme. Vous l’avez déjà entrevu sans le bien comprendre ; vous en avez souffert, hélas ! et, malgré tous mes regrets, je suis impuissant à triompher de moi-même. J’ose à peine vous l’avouer, Juliette, votre famille m’inspire une aversion jalouse, j’en veux à vos sœurs d’oser vous ressembler, à votre mère d’avoir été belle comme vous. Il me semble vous voir en elles comme en des miroirs imparfaits qui déformeraient votre image ; mon rêve est troublé, mon amour hésite. Votre beauté se voile sous les imperfections de ceux qui vous entourent, et, si je ne fuyais ce milieu, mon amour succomberait comme dans un air étouffant. J’aime mieux la souffrance qui s’empare de moi loin de vous que l’absurde ironie qui me glace le cœur dans votre salon. Enfin, je préfère mourir de mon amour que voir cet amour cesser. Vous ne doutez pas de la loyauté de mes sentiments, Juliette ; j’ai l’audace de croire que vous voudrez bien être ma femme. Mais, si vous m’aimez, donnez-moi une preuve de confiance. Venez à moi… Nous fuirons loin d’ici ; votre mère consentira à notre union, nous nous marierons à l’étranger… En l’écrivant je vois toute l’insanité de ma requête ; pourtant, je