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Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/141

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et flottant en arrière comme un manteau d’or, l’œil limpide et bleu, la bouche souriante et rouge comme un pavot, le dos et l’épaule d’une blancheur de lis et d’un poli d’agate, qui reluisent sous l’eau verte comme autant de statues d’ivoire submergées. Cette onde est si claire et si fraîche dans son cadre de verdure que les étoiles, la nuit, descendent du ciel pour s’y baigner toutes nues. Ce val est si solitaire et si discret que Diane, la chaste, ne craint pas d’y amener son Endymion et de l’y baiser au Iront avec ses lèvres d’argent. C’est un paradis à dégoûter du paradis terrestre. C’est un de ces beaux rêves que les poètes et les peintres font le soir quand ils regardent le soleil se coucher derrière les grands marronniers, et comme j’en ai fait bien souvent à ma fenêtre en regardant les pavillons de brique et les toits d’ardoise de ma place Royale, au bruit de l’eau dans les bassins et du vent dans les arbres.

Quant à la place que Théophile doit tenir parmi les poètes de son temps, elle est difficile à marquer. Il est mort très-jeune et n’a pas eu le temps de réaliser ses idées, ou du moins il n’a pu le faire que d’une manière incomplète ; mais tel qu’il est, il nous semble, Régnier étant mort et Corneille n’étant pas encore venu, le poète le plus remarquable de cette période ; il vaut mieux que Hardy et que Porchère, que Bois-Robert, Maynard, Gombaud, et tous les beaux esprits du temps qui ont, du reste, plus de mérite que l’on a l’air de le croire. Saint-Amand est le seul, à notre avis, qui le puisse balancer avec avantage ; mais aussi Saint-Amand est-il un grand poète, d’un magnifique mauvais goût, et d’une verve