Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/148

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la science est amère, si les fruits en sont doux !

Malgré un si malencontreux début, le pauvre enfant ne se rebuta pas ; il s’en alla chez un religieux carme qui faisait des éducations, et qu’il avait vu plusieurs fois chez son père ; il lui exposa naïvement sa requête : le bon père le fit d’abord déjeuner, et ensuite il lui donna une leçon de lecture ; l’enfant revint le lendemain et puis le surlendemain, et si souvent, que non-seulement il sut bientôt lire, mais encore écrire ; qu’il apprit le latin, le grec, l’histoire, la géographie et les belles-lettres, enfin tout ce qui constitue la meilleure et la plus brillante éducation. — Par manière d’exercice et de divertissement, le bon religieux lui faisait composer des anagrammes, des logogriphes, des devises, des charades et des rébus, charmantes inventions fort à la mode et du plus bel air en ce temps-là. Ludovic y devint de la plus désespérante habileté, et il aurait mis le sphinx à quia plus aisément qu’Œdipe. Ces belles choses faisaient les délices des salons provinciaux, alors réceptacles de mauvais goût et de faux bel esprit, asiles de toutes les niaiseries et de toutes les préciosités tombées en désuétude, et l’élève du carme obtint une espèce de célébrité dans un rayon d’une ou deux lieues : il avait alors dix-huit ans. Ce fut à peu près vers cette époque qu’il s’énamoura d’une demoiselle de Vaureas, nommé Magdelaine. Pendant cinq ans entiers il lui rendit les soins les plus assidus et n’oublia rien pour s’en faire aimer. On pense bien qu’il ne se fit pas faute de chanter sa belle en vers latins, en vers grecs, en vers français, en vers provençaux, en vers du toutes les longueurs et de toutes les mesures : il