Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/163

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genre une chose aussi complète que l’Iliade ou l’Odyssée.

Je suis convaincu qu’il serait impossible à qui que ce soit de faire volontairement dix vers aussi étranges que ceux du père Pierre de Saint-Louis, car son détestable n’est jamais commun, ni facile ; c’est un détestable exquis, savant, consciencieux, admirablement soutenu d’un bout à l’autre. Il n’y a pas un seul vers faible dans tout le poème (par vers faible j’entends un vers raisonnable ou insignifiant) ; chacun renferme un concetti inattendu, une bizarrerie inexplicable. On marche de surprise en surprise, et rien au monde n’est plus difficile que de se rendre compte de la formation et de la cristallisation de pareilles idées : ni l’analyse ni la critique ne sont possibles pour de semblables œuvres ; on ne peut que les raconter. C’est comme ces anciens tableaux que l’on rencontre le long des quais et des ponts, où le ciel est vert-pomme, les lointains rose-clair, les arbres blonds et roux, comme s’ils allaient prendre feu ; où tous les tons et tous les plans sont tous déposés de la façon la plus baroque ; où des personnages démesurés se dressent à côté de maisons deux fois plus petites qu’eux ; qu’on regarde avec surprise et non sans quelque plaisir, et avec plus d’intérêt qu’on ne ferait d’une chose raisonnable et médiocre. Le poème du père Pierre de Saint-Louis est une véritable forêt vierge où il est impossible de faire un pas sans être arrêté. Autant le Scalion est sec, incolore et abstrait, autant le père Pierre de Saint-Louis est hyperbolique, enflé jusqu’à l’hydropisie, excessif, touffu et plantureux ; chez lui les métaphores poussent en tout sens leurs branchages noueux. Les parenthèses filan-